ON S'EN FICHE

Publié le par LE BOURDON

Une bien belle erreur de méthode ! Le décret prévoyant l'instauration du fichier EDVIGE a soulevé l'une des plus grosses polémiques de l'année 2008. Beaucoup de bruit pour pas grand chose. Pourtant, en matière de fichiers policiers, tous les acteurs sont prévenus depuis longtemps. On marche sur des oeufs. Chacun peut trouver, dans les recoins de sa vie personnelle ou professionnelle de bonnes raisons de rejeter dogmatiquement l'idée d'un fichage.

En tenant compte d'un tel constat, comment a-t-on pu évoquer sans aucun complexe le fichage systématique des syndicalistes, des membres d'associations, des hommes et femmes politiques, des mineurs de moins de treize ans..., fichage assorti des orientations sexuelles et de l'état de santé des intéressés ?

Cela tient du suicide politique. Mais l'erreur est bien plus sur la forme que sur le fond. L'idée même d'intituler un tel fichier "EDVIGE" est une bourde de communication gigantesque. Les membres du cabinet de Michèle ALLIOT-MARIE ont certes tardé à rectifier le tir, mais ils l'ont fait. On ne les y reprendra plus. Le nouveau projet de décret portant la création du fichier toiletté utilise désormais une dénomination bien moins réutilisable dans un titre d'article de presse ou dans une accroche de journal télévisé. EDVIGE était sur toutes les lèvres. Comptons qu' EDVIRSP (Exploitation Documentaire et Valorisation de l'Information Relative à la Sécurité Publique) sera moins à l'honneur dans la presse. Ils ont pourtant dû se creuser les méninges lors de la recherche d'une appellation. Sans doute la découverte d'E.D.V.I.G.E. pour Exploitation Documentaire et Valorisation de l'Information Générale, a-t-elle suscité l'enthousiasme autour de la table. La volonté de simplification, matinée d'orgueil de l'affichage, a suffi à conduire au désastre. La perche était toute tendue vers les organisateurs de manifestations jetant leur dévolu sur la toute prochaine Sainte Edvige. Bien loin de nous l'idée que la publication du décret n'aurait été relevée par personne. Mais à l'évidence, un sigle moins harmonieux aurait compliqué la tâche des pourfandeurs du fichier.

Les critiques ont donc fusé de toute part, les contre-feux également. Souvent, ni les uns ni les autres n'étaient légitimes. Reprenons les arguments avancés.

Bruno BESCHIZZA, Secrétaire général de Synergie-Officiers, dans Le Parisien daté du 9 septembre 2008 se charge de défendre le fichier controversé. Il ne peut en aller autrement. Un policier ne peut que soutenir toute initiative de fichage, de surveillance, d'espionnage... La légende a de beaux jours devant elle. M. BESCHIZZA, non choqué du fichage de ses collègues syndicalistes, relaie le principal argument gouvernemental justifiant le fichier. "EDVIGE reprend textuellement et à 95% le fichier crée en 1991 par Michel ROCARD" dit-il. Il a raison. Mais pourquoi poursuit-il alors l'argumentaire ? Si le fichier n'innove pas, et que les moyens mis à la disposition des policiers depuis plusieurs années sont les mêmes, il est contre-productif de le vanter comme une réforme quasi-indispensable. Il évoque l'efficacité d'un tel fichier élargi aux mineurs de 13 ans en y voyant par exemple la solution pour identifier les membres des bandes s'étant opposées au sein de la Gare du Nord à Paris. C'est surprenant. D'abord, il laisse imaginer que sans ce fichier, on ne peut pas les connaître. Ensuite, il sous-entend qu'on pouvait éviter de telles émeutes grâce à lui. Enfin, il présente cet outil comme révolutionnaire alors même que d'autres fichiers existent déjà et qu'ils offrent tout autant de possibilités. Le discours du "technicien" policier semble bien loin de la réalité. Il passe sous silence d'autres méthodes à l'évidence plus efficaces, comme le signalement d'urgence de la constitution de groupes par les opérateurs vidéos de la SNCF et de la RATP, bloquant les trains véhiculant les jeunes guerriers et prévenant les effectifs policiers à l'arrivée...

Jean-Marc FEDIDA, avocat, sombre dans la paranoïa la plus complète dans le même article. Il voit en EDVIGE la volonté des gouvernants et à travers eux des policiers de tout savoir sur tout le monde, comme si 120.000 fonctionnaires pouvaient scruter les faits et gestes de plus de 60 millions de français. Bien sûr, l'orientation sexuelle ou l'état de santé des fichés sont des précisions totalement scandaleuses. La ministre de l'Intérieur a défendu la collecte de ce type de caractéristiques par l'impossibilité, dans le cas contraire, de pouvoir établir un fichage d'associations ou d'organisations dont le but est la lutte contre l'homophobie par exemple, rappelant que ces groupes peuvent à certains moments de leur existence, porter atteinte à l'ordre public. Elle avait sans doute en tête les opérations coups de poing d'Act Up sur la voie publique. La défense est bien malheureuse sur ce point. Ficher l'appartenance à ce type d'associations est envisageable, mais en quoi l'hétérosexualité empêcherait d'en faire partie ?

Par ailleurs, Jean-Marc FEDIDA dénonce le manque de moyens dévolus à la CNIL, chargée d'encadrer la création et l'utilisation de tout fichier informatique en France. Il est à cet égard intéressant de savoir que les initiateurs de fichiers en tout genre évoquent justement le contraire, s'estimant contraints dans leurs moindres faits et gestes par l'autorité administrative indépendante.

Le débat sur les fichiers policiers doit être dépassionné pour conserver un maximum d'objectivité. Il est nécessaire de rappeler qu' EDVIGE ne remplace pas le fameux fichier de 1991 à la disposition des Renseignements Généraux. Sa nouvelle dénomination traduit plus fidèlement sa réelle destination : la Sécurité Publique. Il est dès lors normal de se poser des questions de légitimité d'un tel fichage. Non pas que les RG étaient parfaitement inoffensifs, mais ils renseignaient. Certes, cela peut choquer qu'un Préfet sollicite une note sur tel ou tel, mais personne n'empêchera jamais l'enquête de personnalité. En revanche, que la Sécurité Publique soit chargée et dispose ainsi de la collecte d'informations parfois très intimes, c'est plus discutable. Cette direction du ministère de l'Intérieur a pour une bonne part un rôle répressif direct dans les circonscriptions de police. Que va-t-elle faire alors de ces données ? Seront-elles accessibles par simple consultation pour le règlement de conflits de voisinage, de dégradations de biens, d'attroupements dans les hall d'immeuble, ou pour la rédaction d'une note de service mettant en place un dispositif d'encadrement de manifestation ?

Le transfert de compétences à la Sécurité Publique induit tant par le regroupement RG / DST que par le recentrage de leurs missions, a conduit le gouvernement à doter cette direction de nouveaux moyens. Cela s'est fait sans doute dans la hâte et au prix de mélange de genres assez discutables. Auréolés d'une connaissance fine des quartiers et des individus qui les habitent, les commissariats dépendants de la Sécurité Publique sont aujourd'hui chargés de la lutte contre les violences urbaines et notamment celles commises par les mineurs. Pourquoi pas ? Le problème est qu'ils sont aux deux bouts de la chaîne. Ils se doivent de réprimer les agissements délictueux de jeunes gens souvent très violents. C'est l'essence même de la police. Mais ils se doivent aussi de prévenir les risques de commission de ces faits. Ainsi, le danger mis en avant par les plus virulents opposant à EDVIGE est que le policier suspectant la volonté coupable va réprimer comme si le délit avait été perpétré.
Avant ce regroupement de missions, les Renseignements Généraux et plus particulièrement des sections spécialisées, alertaient leurs collègues de la Sécurité Publique ou autres, de la possibilité de dérapages. Ces derniers resserraient alors leur surveillance et constataient, ou non, la commission d'infractions. Ils agissaient en conséquence.

En outre, EDVIGE était censée regrouper à l'origine, l'ensemble des syndicalistes, hommes ou femmes politiques, membres d'associations ou clubs divers... En quoi ces entrées sont-elles pertinentes pour la Sécurité Publique ? Elles sont d'une part officielles (Journal Officiel, Infogreffe, Google...) et d'autre part totalement étrangères au rôle de cette direction. Sauf suppression totale des RG ou recentrage uniquement sur le terrorisme, une grande partie des données d'EDVIGE semblent inintéressantes pour les policiers des commissariats de quartier. Rappelons tout de même que la police de proximité étant passée par là, ces derniers connaissent souvent bien plus de choses sur les associatifs de la commune ou sur les conseillers municipaux que les RG eux-mêmes.

Rappelons également que tout comme le fichier pré-existant des Renseignements Généraux, EDVIGE se heurte à l'obsolescence instantanée. Il est illusoire de penser que le fichier tourne en permanence et qu'il est mis à jour en direct. Comptons qu'une demande de renseignements sur un individu se déroulera à l'avenir comme par le passé. Un ou plusieurs agents sera missionné pour enquêter sur une personnalité. Il activera l'ensemble de ses réseaux, formels et informels. Il consultera la totalité des fichiers, qu'ils soient policiers ou autres d'ailleurs. Il rédigera en conséquence une note d'information retraçant toutes ses découvertes, souvent bien plus étayées que l'extrait d'EDVIGE relatif à l'intéressé. Il convient donc de relativiser. Comme le suggère Bruno BESCHIZZA au sujet de Google, on trouve bien plus dans des fichiers commerciaux que dans des fichiers policiers. Et ceux-là ne semblent pas déranger outre mesure.

Enfin, s'imaginer que le fichage établi par EDVIGE est révolutionnaire au sens péjoratif du terme pour les uns, au sens élogieux pour les autres, est ridicule. Tout fonctionnaire de police dispose depuis très longtemps de fichiers, au sein desquels sont reprises des informations susceptibles de permettre l'orientation d'une enquête vers la découverte de la vérité. Le fameux STIC, associé au CANONGE, offre la possibilité de dresser des portraits relativement précis d'individus suspects. Dans la même veine, une consultation assidue de la main courante informatisée des commissariats de quartier couplée avec la visite des gardiens d'immeuble en révèle parfois suffisamment pour établir les identités des membres d'une bande.

A quand la prochaine manifestation contre les fenêtres dans les loges de concierges ?

http://www.synergie-officiers.com/IMG/pdf/LEPARISIENEdvige.pdf
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